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  • Nicole Avakyan

Brain Songs, un concert jazz unique alliant musique et cognition


par Lily Jiménez-Dabdoub


La plus récente conférence Art-Sci Sci-Art de l’initiative Convergence, présentée le 20 juin 2019, a pris la forme unique d’un concert dont le but était d’enseigner au public une chose ou deux sur la cognition musicale. Fait très intéressant, la conférence-concert s’est déroulée à l’amphithéâtre Jeanne-Timmins du célèbre Institut et hôpital neurologiques de Montréal: «Le Neuro». Une première pour cette institution de renommée mondiale, qui produit de la recherche de haute qualité sur la cognition musicale. En effet, le «’Neuro » a accueilli de véritables musiciens qui se sont produits sur scène lors d’une conférence sur les neurosciences à l’intention du grand public.


Dr. Nicolas Farrugia (professeur associé à l'IMT Atlantique, France) et Christophe Rocher (Ensemble Nautilis) ont développé un projet de recherche personnel visant à explorer la subjectivité et les états neuraux lors de l'improvisation musicale. Les participants de Brain Songs ont obtenu un aperçu concret des expériences effectuées dans le cadre de ce projet hors du commun.


J'ai eu le plaisir de présenter le projet, ainsi que le Dr. Farrugia et les musiciens au public lors de la conférence. Christophe Rocher (Brest, France) a joué de la clarinette, Thierry Amar - la basse et Craig Pedersen - la trompette (tous deux de Montréal, Canada). Christophe Rocher portait un bandeau élastique branché à un électroencéphalogramme (EEG) portatif avec cinq canaux d'enregistrement et le public a pu visionner les enregistrements en direct de son EEG pendant qu'il exécutait / improvisait avec les deux autres musiciens.


Le EEG est une méthode non invasive pour enregistrer l'activité électrique du cerveau, à partir du cortex. En règle générale, les EEG possèdent jusqu'à 36 canaux pour visualiser l’activité cérébrale. Le EEG utilise des électrodes placées le long du cuir chevelu pour enregistrer l’activité électrique du cerveau. Normalement, des casques équipés d’électrodes sont utilisés, mais il existe également des EEG simplifiés et plus portables (comme celui utilisé par Dr Farrugia lors de cette performance) utilisant seulement 5 canaux.


De gauche à droite: Nicolas Farrugia, Christophe Rocher, Thierry Amar et Craig Pedersen. Rocher porte un appareil d'enregistrement EEG portatif qui enregistre l’activité électrique de son cerveau en direct pour être visualisé sur l'écran derrière les musiciens. Photo: Nate Klett.

Christophe Rocher a dirigé l’ensemble d’une main de maître et nous a donné une performance d’improvisation musicale inspirante. Mr. Rocher a joué en grande partie les yeux fermés pour éviter toute activité oculaire sur l'enregistrement EEG. Le public semblait fasciné, à la fois par les détours intéressants de l’improvisation musicale et par les changements rapides du signal EEG. C'était la première fois que les trois musiciens en scène jouaient ensemble et ils ont réussi à apporter au public des mélodies expérimentales dynamiques et surprenantes.


Après la prestation, Dr. Farrugia a commencé la conférence en soulignant le travail accompli ici à Montréal, qui apporte à la communauté scientifique une nouvelle compréhension des neurosciences et de la cognition musicale. Il a rendu hommage à son ancien directeur de recherche, le Dr Simone Dalla Bella, ainsi qu’au Dr Robert Zatorre, au Dr Daniel Levitin et au Dr Oliver Sacks. Pour aborder le sujet de la cognition musicale, il a fait remarquer que, même au tous débuts de ce domaine de recherche, il n’y avait aucun doute sur la manière dont la musique déclenche l’activation du cerveau en entier.


Ensuite, Dr Farrugia a expliqué que de nombreuses études démontrent les effets de l’éducation musicale sur le cerveau. Selon Grossard et ses collègues (2014), une éducation musicale conduit au développement de la matière grise dans l'hippocampe gauche, l'insula et le cingulaire postérieur gauche. Toutes ces régions du cerveau ne sont pas seulement engagées dans la cognition musicale, mais sont aussi profondément liées au traitement des émotions.


Le projet Brain Songs comprend deux objectifs principaux : reconnaître les fondements de l’improvisation musicale en explorant le concept d’état de flux (1975, Csikszentmihalyi) et étudier les effets de plasticité et d’entraînement possibles que l’improvisation peut avoir sur le cerveau. Ainsi, la base scientifique du Dr. Farrugia pour ce projet est la recherche sur les effets de l’improvisation et le processus de rappel.


Selon Beaty et ses collaborateurs (2015), l’improvisation effectuée par les musiciens provoque une désactivation des circuits responsables de la mémoire active (working memory). Ainsi, le Dr Farrugia suggère que les musiciens n'activent pas leur mémoire à long terme, mais plutôt un processus créatif en temps direct. Quelles sont failles dans cette recherche selon Dr. Farrugia? Musicien mais aussi scientifique, il croit difficile d’établir un équilibre entre la validité des observations et le contrôle des variables. De plus, pour vraiment étudier l'improvisation, il s’avère important d’accentuer la validité écologique, donc d’étudier les « musiciens à l'état sauvage » comme dit Dr. Farrugia. Ainsi, le projet Brain Songs est un moyen pour Christophe Rocher d’improviser devant un public et de s’engager dans une analyse personnelle de son propre état de flux.


Le Dr. Farrugia prédit que de 2019 à 2021, plusieurs concerts/conférences Brain Songs seront organisés afin de mieux étudier le fonctionnement neuronal de l'activité cérébrale de Christophe lors d'une improvisation musicale. Les données EEG seront enregistrées en direct pendant qu'il joue et improvise. Ensuite, l'analyse des données apportera les états subjectifs d'improvisation tels que la concentration, le stress, la créativité et le flux.


Cette approche innovatrice de recherche en direct comporte de nombreux défis. Le Dr Farrugia le reconnaît: Comment pouvons-nous évaluer les processus cérébraux spontanés ? Pouvons-nous vraiment évaluer l'état de flux et le relier ensuite à la création et la performance musicale ? Comment évaluer des états cérébraux si complexes et impliqués dans la perception subjective du temps ?


L'approche a été développée en collaboration avec Mr. Rocher, ce qui rend ce projet unique en son genre, puisqu'il adopte une approche basée sur une seule étude de cas. La formation scientifique de Rocher lui permet également d’avoir une vision introspective de ses propres processus mentaux d’improvisation. Il peut également lire ses propres enregistrements EEG débattre à ce sujet avec le Dr Farrugia.

Un détail intéressant à propos de la méthodologie de Brain Songs : après chaque performance, Rocher écoute l’enregistrement et prend des notes sur sa propre perception de son état de flux en continue, ainsi que de sa perception subjective du temps. Jusqu'à présent, Dr. Farrugia et Mr. Rocher ont effectué 6 répétitions au cours desquelles ils ont discuté en détail de la conception du projet. Cette conférence était leur troisième spectacle en direct devant un public (les deux premiers ont eu lieu à Brest, en France).



La prochaine étape

Pour le Dr Farrugia et Mr. Rocher, les prochaines étapes consistent à aborder la complexité de l’auto-évaluation de l’état de flux et à déterminer sa relation avec l’enregistrement EEG. Un autre défi de taille consiste à explorer la possibilité de prédire les états à l'aide d'oscillations cérébrales. Enfin, le scientifique et le musicien cherchent à identifier et distinguer les états d'improvisation à l'aide de l'EEG et des évaluations post-expérimentales.


Le projet présente, certes, de nombreux défis dû à la complexité du processus d’improvisation. Ainsi, il est important que les musiciens et les neuroscientifiques puissent interroger et mettre en pratique la science de l'art de manière dynamique, à la fois transdisciplinaire et interdisciplinaire, afin de repousser les limites existantes.



Plus d'informations sur le Dr Farrugia

Depuis 2016, il est professeur associé à l'IMT Atlantique, au sein d'une équipe transdisciplinaire combinant des méthodes de neuroscience, de Deep Learning et de traitement de signaux graphiques. Ainsi, la recherche du Dr Farrugia est transdisciplinaire, à l’intersection entre l’intelligence artificielle et les neurosciences cognitives. Après avoir obtenu son doctorat en génie électrique, il s’est lancé dans le domaine des neurosciences cognitives en tant que chercheur postdoctoral, en se concentrant sur les neurosciences de la musique. Il a étudié l’effet du rythme sur la réadaptation dans la maladie de Parkinson, ainsi que sur la perception du temps, les performance en percussion et les images musicales involontaires ou Brain Worms! Oui, ces airs qui nous restent dans la tête… des scientifiques comme le Dr. Farrugia ont fourni la base pour comprendre leurs parcours neurologiques.



L'Ensemble Nautilis

Ensemble Nautilis est dirigé par Christophe Rocher. Ce groupe de musiciens internationaux collaboratif s’engage dans différents projets. Brain Songs avec le Dr. Farrugia n’est qu’un de ces projets.


L’engagement de Rocher à créer une collaboration internationale lui a valu le soutien de la commission coopérative France-Québec, en partenariat avec le Festival Suoni Per El Popolo à Montréal et Plages Magnétiques.



Révision : Oscar Bedford

Rédaction : Nicole Avakyan

Traduction : Nicole Avakyan et Andrée Lessard

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