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  • Nicole Avakyan

Diverger nos pensées convergentes

Par Sophie Park


Le 14 novembre, j’ai eu la chance de participer à un atelier, organisé par l’initiative Convergence, intitulé « De la pensée divergente aux solutions convergentes : inclure la pensée créative dans la recherche scientifique». Cet événement a eu lieu à l’Institut neurologique de Montréal (INM) dans le cadre de la série d’ateliers « Un cerveau sain pour une vie saine » (Healthy Brains for Healthy Lives ou HBHL en anglais). L’évènement consistait en présentations orales et exercices interactifs conçus pour permettre à des étudiants en science d’explorer le processus artistique et d’incorporer la pensée créative dans leur pratique de la recherche. En tant qu’étudiante en science dépourvue d’instincts ou d’éducation artistiques, je me suis interrogée sur les exercices interactifs. Allaient-ils nous apprendre comment dessiner ou peindre?


Alors que la dernière vague d’étudiants prenait place dans la salle, Cristian Zaelzer, le fondateur et directeur de l’initiative Convergence, a commencé sa présentation. Dans l’esprit de plusieurs, il existe une dichotomie persistante entre la rationalité et l’émotion, la connaissance et la créativité, la science et l’art. En faisant référence au livre « Denying to the Grave » de Gorman et Gorman, Cristian a décrit les raisons pourquoi les gens ont tendance à nier les preuves scientifiques dans leurs prises de décisions. En effet, il semble que l’angle de présentation de l’information (histoires, images) possède un impact plus important sur l’acceptation des idées que le contenu (données, chiffres), les connaissances actuelles ou la crédibilité de la source d’information. Or, les scientifiques transmettent leurs connaissances en utilisant des statistiques et des données. De plus, ils évitent d’incorporer des éléments non-objectifs dans leurs publications. L’art, à l’opposé de la science objective, suscite une réponse émotionnelle. Selon Cristian, c’est la raison pourquoi l’art peut devenir un outil efficace pour communiquer la science au grand public. Il a terminé sa présentation en soulignant l’importance de la vulgarisation : une communication de la science qui atteint le public dépend de l’habileté des scientifiques à s’expliquer avec des termes simples, plutôt que de l’habilité du public à comprendre.

Cristian Zaelzer [gauche] et Bettina Forget [droite] présentent à l’atelier « De la pensée divergente aux solutions convergentes : inclure la pensée créative dans la recherche scientifique » (dans le cadre de la série d’ateliers de HBHL). Crédit: HBHL.


La prochaine présentatrice, Bettina Forget, est la directrice artistique de Convergence. Artiste et candidate au doctorat en éducation de l’art, elle a partagé sa vision de la pensée et du travail créatif. « Être artiste, c’est fondamentalement une façon distinctive de penser. C’est une attitude, » a-t-elle expliqué. Tandis que les scientifiques ont tendance à se concentrer sur une réponse à une question spécifique (pensée convergente), les artistes vont plutôt chercher autant de solutions que possible (pensée divergente). « Toute réponse est une bonne réponse, la clé est de trouver une réponse unique à nous-même, » a ajouté Bettina.


Afin de trouver des solutions créatives, les artistes utilisent différents outils pour alimenter leurs pensées. Ceux-ci servent de point de départ au processus créatif sans créer de contraintes. « Il s’agit d’établir un cadre où les idées prennent place, se forment, se déforment, rebondissent et se déplacent librement » décrit Bettina. Par exemple, l’artiste Richard Serra se sert de verbes d’action comme point de départ à sa pensée créative. Le processus débute lorsqu’il fait une liste d’autant de verbes d’action qu’il peut imaginer sur un bout de papier. Il choisit ensuite un verbe de la liste pour bâtir une sculpture qui reflète ce mot. Bettina décrit avec enthousiasme une œuvre de Serra appelée « To Lift » (Léviter). Le métal, dur et froid, est transformé en une forme de tissus pliable qui semble léviter du plancher. L’objet donne une impression de beauté et de puissance. Voici le potentiel de tels outils créatifs : il n’y a pas de point d’arrivée défini, seulement un point de départ pour aider l’artiste à explorer et à expérimenter.

Richard Serra, Verblist (Liste de verbes) (1967-68) [gauche] et To Lift (Léviter) (1967) [droite]. Alors que les scientifiques dans l’audience prenaient consciences des outils créatifs, Bettina est passée à une description du travail de l’artiste. Les artistes questionnent les idées préconçues. Ils s’ouvrent à l’incertitude et invitent les accidents à bras ouverts. Bref, ils acceptent de perdre le contrôle. Parfois, l’incertitude devient partie intégrante de leur travail. Il n’y a pas d’erreurs dans l’art, seulement des résultats inattendus. Les artistes explorent aussi la matérialité. À ma surprise, Bettina a nommé un scientifique en exemple. Le biophysicien Andrew Pelling de l’Université d’Ottawa a utilisé une pomme comme support à la culture de tissus humains. Ce projet unique est un exemple réel de rencontre entre la science et l’art. Une étude scientifique portant sur le moyen le plus efficace de cultiver des tissus humains l’a amené vers ce matériel de support inusité. Le résultat est un hybride de tissu-humain et pomme d’une grande beauté visuelle.


Daniel Modulevsky and Andrew Pelling (Pelling lab). Cellules épithéliales et fibroblastes humains cultivés à l’aide de tranches de pommes en tant que support dans des boîtes de Petri. Les artistes observent et documentent ce qui les entoure. Bettina raconte : « Observer les détails est fondamental à la pratique de l’art. J’ai participé à un atelier avec des artistes dans Death Valley. Nous avons fait une marche d’exploration sur 3 mètres dans un canyon et ça nous a pris une heure parce qu’on regardait partout. On a perdu trois participants au tout début parce qu’ils ont commencé à faire des croquis. » Les artistes adoptent des pratiques créatives qui leurs sont particulières, uniques à chacun. Ils ont des outils pour nourrir leur créativité, mais il n’existe pas de méthode artistique meilleure que toutes les autres.


Je commençais à percevoir des similarités entre la pratique de l’art et des sciences. Les artistes et les scientifiques se questionnent, explorent, expérimentent et, parfois (plus souvent qu’on ne l’imagine), se perdent. En même temps, je réalisais maintenant à quel point l’éducation des artistes et des scientifiques diffère dans la méthode d’apprentissage et dans l’importance accordée à la créativité. Selon mon expérience au Baccalauréat, l’enseignement des sciences est basé sur une collection de faits et de formules à mémoriser plutôt que de problèmes à résoudre. Je ne me rappelle pas avoir analysé des données ou travaillé sur de nouvelles hypothèses avant d’avoir commencé ma maîtrise.


Les présentations de Cristian et de Bettina ont été suivies d’activités en petits groupes. Tout d’abord, on nous a demandé de trouver trois mots dans des journaux et des magazines qui décrivent notre propre recherche. En utilisant ces trois mots dans trois phrases, il nous fallait ensuite expliquer notre recherche à nos coéquipiers comme si nous parlions à des enfants de cinq ans. Cette tâche n’a pas été facile! J’avais trois minutes pour travailler avec les mots que j’ai trouvés, mais j’ai quand même réussi à expliquer ma recherche sans utiliser de jargon scientifique. Pouvez-vous imaginer le rayonnement de la recherche scientifique si tous les chercheurs pouvaient communiquer leurs publications dans un langage accessible à toute la communauté qui bénéficie des retombées de leurs travaux?

Les étudiants en quête de trois mots qui décrivent leur recherche scientifique.

Crédit: HBHL.

Pour la deuxième activité, chaque équipe a reçu un sujet relié à la science. Mon équipe devait trouver des moyens de convaincre les hauts dirigeants qu’il était nécessaire d’améliorer la qualité des animaleries dans les centres de recherche. Il nous fallait noter tous les arguments qui nous venaient en tête. J’avais hâte de mettre en pratique le concept de la pensée divergente dans cet exercice. Mon équipe et moi avons fait une liste de toutes les idées qu’on a eu individuellement avant d’entamer une discussion. Lorsqu’on a partagé nos idées, nous avons réalisé que nos approches étaient toutes très similaires. Il était important pour nous d’appuyer nos arguments sur des études et des statistiques. On a aussi pensé à des stratégies pour déclencher des émotions chez les décideurs.


La discussion était bien animée, nous étions satisfaits des solutions que nous avions trouvées, lorsque Bettina s’est arrêtée à notre table pour nous écouter. Sa réaction : « Vous n’êtes pas assez fous. Allez chercher plus loin! » C’est là qu’on a commencé à « diverger ». Devrait-on créer une mascotte? Pourquoi ne pas placer les décideurs dans des cages, comme des animaux de laboratoire, et faire des expériences sur eux pour qu’ils voient l’autre côté de la médaille? Ne me demandez pas comment, mais la discussion s’est transportée jusqu’aux oreilles humaines qui poussent sur le dos des souris. En adoptant l’approche artistique, nous avons découvert des solutions créatives qui ne nous seraient pas venues à l’esprit autrement. Voilà le pouvoir de la pensée divergente.


La troisième activité portait sur le défi de formuler une nouvelle question scientifique basée sur la discussion précédente et ensuite produire une réponse artistique à la question posée par une autre équipe. Mon équipe a reçu des stylos de toutes les couleurs. Après coup, nous avons réalisé que chaque équipe avait reçu du matériel artistique différent – l’idée était d’explorer la matérialité!

Les étudiants présentent leurs réponses artistiques – chaque équipe avait accès à différents types de matériel artistique. Crédit: HBHL.

Ces activités m’ont permis de mettre en pratique des concepts théoriques que j’ai appris lors des présentations. À travers ces exercices, j’ai eu la chance de vulgariser ma recherche, d’essayer la pensée divergente et d’explorer la matérialité. Au départ, j’ai eu de la difficulté à laisser mon esprit errer pour explorer toutes les solutions possibles. Cependant, lorsque je me suis ouverte à la pensée moins analytique, des nouvelles idées se sont présentées d’elles-mêmes. C’est alors que j’ai réalisé comment l’approche artistique s’applique aussi à des problèmes du domaine scientifique pour générer des perspectives inusitées, des idées inattendues et des méthodes innovatrices.


« La simple formulation d’un problème est de loin plus essentielle que sa solution,

qui peut être seulement une question de compétences mathématiques ou

expérimentales. Trouver des nouvelles questions, des nouvelles possibilités,

considérer des vieux problèmes sous un angle nouveau nécessite une

imagination créative et marque des véritables progrès scientifiques. »


- Albert Einstein


J’aimerais terminer cet article par une de mes citations préférées d’Albert Einstein, car elle démontre que la recherche scientifique ne se limite pas au travail de raisonnement et l’expression de formules. La citation représente un résumé élégant de l’importance de la créativité en science. Pour résoudre un problème, les chercheurs doivent suivre la méthode scientifique, ainsi qu’utiliser les statistiques et des formules pour scrupuleusement interpréter leurs résultats. Toutefois, on sait bien que le voyage au cœur de la découverte scientifique ne se fait pas par magie et ne suit pas toujours un parcours logique. Il s’agit d’un chemin non-linéaire, une quête continue de connaissances qui demande de la déduction, de requestionner les suppositions et de l’imagination pour trouver des idées inusitées – un chemin qui demande de la pensée divergente. Les arts et la science n’ont jamais semblé aussi proches.





Rédaction: Nicole Avakyan

Traduction: Nicole Avakyan et Andrée Lessard

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