Par Sean Zhang
J’ai eu la chance unique d’assister au vernissage de l’exposition Merveilles Célestes. Les œuvres d’art inspirées d’astronomie, présentées par les artistes Bettina Forget et Yann Pocreau, sont en vedette au Centre d’Exposition de l’Université de Montréal jusqu’au 15 décembre 2018. L’exposition représente l’aboutissement de trois mois de travail des artistes en résidence du centre de recherche de l’observatoire astronomique du Mont Mégantic, qui abrite le deuxième plus grand télescope de l’Est du Canada.
L’espace velouté nous enveloppe dans une pénombre apaisante où une douce lumière met en évidence les œuvres. L’ambiance recrée ainsi un ciel étoilé en campagne, où les œuvres elles-mêmes représentent les étoiles. L’artiste Bettina Forget, directrice artistique de Convergence, candidate au doctorat en éducation de l’Art à l’Université Concordia et propriétaire de la galerie d’Art Visual Voice m’a parlé de son expérience à l’observatoire et m’a expliqué le concept derrière ses œuvres.
D’abord quelques mots sur l’endroit : L’observatoire du Mont Mégantic est situé en retrait des zones urbaines, à plus de deux heures de Montréal, et juché à 1100 mètres sur l’un des monts les plus élevés de l’Est du Canada. Là-bas, la neige ne fond pas. Elle reste bien collée sur le sol gelé, même en juin (on se souvient tous des canicules que l’on a subies cet été !). L’isolation est un mal nécessaire, puisque la pollution lumineuse des grandes villes rend difficile l’observation du ciel en détail. Le parc national du Mont-Mégantic a heureusement pris des mesures concrètes pour réduire au maximum la quantité et l’intensité des lumières artificielles autour de l’observatoire. On assiste ainsi à une réserve de ciel étoilé, la premier de ce genre. Malgré tous ces efforts, Bettina m’informe que durant son séjour, seulement 25% des nuitées ont permis une observation adéquate des étoiles par les scientifiques, étant donné les conditions météorologiques. Néanmoins, pour des scientifiques occupés, cela ne pose aucun problème. Il y a beaucoup de travail à faire pour maintenir les instruments dispendieux de haute précision en bon état de fonctionnement. Bettina se rappelle, un sourire aux lèvres, d’une soirée pluvieuse ou les scientifiques se sont amusés à des jeux de société dans cet espace immense de 4000 pieds carrés.
Nous avons continué la conversation au fil de l’exposition, puis je me suis retrouvé en face d’un meuble muni d’une collection intrigante de bocaux contenant d’étranges planètes multicolores. Les sphères exposées ont toutes des formes incroyables : certaines possèdent d’énormes pics dentelés, d’autres des anneaux cloutés dans tous les angles. Bettina a affectueusement baptisé cette œuvre son armoire à curiosités. Durant sa résidence, Bettina a travaillé avec des scientifiques qui se spécialisent dans l’étude des exoplanètes ; qui se retrouvent à l’extérieur de notre système solaire. Elle a d’abord recueilli les caractéristiques des planètes mesurées par les astronomes : masse, inclinaison de l’orbite, proximité par rapport à leur étoile, masse de leur étoile. Ensuite, elle fut capable d’incorporer ces informations dans un fichier STL : le code d’envoi des données à l’imprimante 3D. Il s’agit d’un code fichier semblable au JPEG pour les images par exemple. En travaillant sur les codes STL, elle a été en mesure d’imprimer les données en format 3D.
« J’ai dû reformuler les fichiers pour qu’ils puissent accepter les données des exoplanètes et ainsi m’imprimer des formes tangibles. La plupart des gens désirent obtenir de jolies formes, mais ce n’était pas là mon but. En tant qu’artiste, j’ai misé sur l’exploration et l’idée de briser les standards. »
Armoire à curiosité. Photo: Lily Jiménez-Dabdoub
Bettina m’explique qu’il n’existe aucun système de classification des exoplanètes (taxonomie). Celles-ci sont parfois catégorisées faisant référence à certaines planètes de notre système solaire, par exemple une ‘super-terre’ ou une planète ‘telle-Jupiter’, mais la plupart ne possèdent aucun lien en commun avec les planètes de notre système. Elles se retrouvent donc en grande majorité orphelines. La démarche artistique de Bettina est basée sur l’idée d’utiliser les données scientifiques pour créer un modèle de classification des exoplanètes.
Un peu à l’écart de l’armoire à curiosité, on peut voir une série d’images sur papier intitulée : ‘modèles impossibles’. Il s’agit de modèles si tordus que l’imprimante 3D n’est pas en mesure de les exécuter. Qu’à cela ne tienne, elles sont tout aussi spectaculaires en 2 dimensions !
La suite du parcours nous amène vers des vitrines illuminées présentant quatre cosmologistes, leurs histoires et leur travail. Je remarque tout de suite deux points en communs entre ces scientifiques : leur domaine de recherche (évolutions galactiques) et le fait qu’elles sont toutes des femmes. L’inspiration pour cette œuvre provient des jours de pluie à l’observatoire. Bettina en profitait pour faire une visite à l’ASTROLab ; un musée d’astronomie entièrement dédié à la cosmologie.
« J’ai pris le temps de tout lire et examiner, puis je me suis dit : hey, attend une minute, mais il n’y a aucune femme dans cette exposition ! N’y a-t-il donc aucune femme qui a travaillé dans ce domaine ? Cette œuvre n’était pas prévue au départ, je l’ai inclus après ma visite de l’ASTROLab »
Bettina a produit ces panneaux en respectant ceux du musée, c’est-à-dire en conservant les mêmes thèmes, le même design et les mêmes couleurs. Voici les expertes qu’elle a choisi de mettre en lumière : Beatrice Tinsley, Vera Rubin, Sandra Faber et Margaret Geller. Le but de la démarche est d’encourager les jeunes filles intéressées par l’étude de la cosmologie à persévérer, et surtout de ne pas se laisser dissuader par une fausse perception d’un domaine exclusivement masculin.
« Les musées organisent beaucoup d’activités d’éducation scientifique pour les jeunes filles. Malheureusement, celles-ci se retrouvent entourées d’images de scientifiques masculins. Plusieurs d’entre-elles peuvent avoir l’impression que ce domaine n’est pas pour elles. Le même phénomène peut influencer les garçons, qui peuvent avoir l’impression que les filles ne sont pas bonnes en mathématiques. Mais en réalité, plusieurs études démontrent que les filles excellent en mathématiques. Une partie de mes recherches au Ph.D. se consacre aux jeunes femmes et la science. »
Bettina offrira ses panneaux à l’ASTROLab une fois que l’exposition Merveilles célestes sera terminée.
J’ai demandé à Bettina d’où vient son inspiration et d’où sort cette passion pour l’astronomie. Elle me rétorque que cela provient de son enfance. Elle a toujours été fascinée par l’espace, et ce malgré l’insistance de sa famille pour qu’elle poursuive des études en art ; ceux-ci étant tous des artistes eux-mêmes. Bien qu’elle ait continué sa formation d’artiste, cette flamme de curiosité pour l’astronomie ne s’est jamais vraiment éteinte. Elle s’est même complètement ravivée dans sa vingtaine. Alors qu’elle vivait à Singapour, elle fut témoin d’un formidable météore s’éteignant dans la campagne Malaisienne. Cette année-là, elle s’est offert un télescope pour son anniversaire. Aussi puissant qu’un souhait formulé lorsqu’on voit une étoile filante, le météore devint pour elle un catalyseur d’intérêt pour l’astronomie. Peu de temps après, elle s’est jointe à la Société d’Astronomie de Singapour, puis à la Société Royale d’Astronomie du Canada lorsqu’elle a emménagé à Montréal.
Bien que cette exposition démontre son talent comme artiste, Bettina montre clairement qu’elle comprend très bien la science derrière ses œuvres. Conscient de ses connaissances artistiques et scientifiques, je lui demande si elle croit qu’on devrait encourager plus les scientifiques à s’intéresser à l’Art, et vice versa.
« Je crois que les deux domaines se ressemblent énormément ! Au niveau exploratoire, le travail possède les mêmes bases. Lors de ma résidence, j’ai dû en apprendre beaucoup sur la science des exoplanètes. Je ne suis pas intéressée à faire de jolies choses, ce n’est pas ma vision de l’expression artistique. Pour moi, l’Art consiste d’abord à se poser des questions, chercher l’information, explorer les possibilités, expérimenter, et critiquer. La science possède sa méthode scientifique, l’Art a sa méthode aussi. Les artistes sont aussi curieux que rigoureux dans leurs démarches, nous avons beaucoup en commun. »
À la fin de notre entretien, je ne peux m’empêcher de lui poser cette question : pourquoi n’avez-vous pas choisi une carrière de scientifique ? Ses yeux se sont immédiatement éclairés tels des étoiles (d’excitation ou d’indignation, je ne pourrais dire) : « si seulement on m’avait offert un télescope à 12 ans au lieu d’une stupide maison de poupées ! »
Mais elle m’a tout de suite confié : Je suis une éducatrice maintenant, mon rôle est de briser les divisions culturelles.
Quelles sont les plans de Bettina dans un futur prochain ? Elle a déjà en tête une tonne de projets qui peuvent remplir facilement cinq ans de travail à temps plein. Elle espère pouvoir continuer à explorer l’univers des exoplanètes, mais elle s’intéresse aussi à l’astrobiologie où l’existence possible de la vie sur d’autres planètes.
Elle aimerait que ses recherches au doctorat sur son thème éducatif STEAM (pour Science, Technology, Engineering, Art and Math) inspire les jeunes filles à poursuivre une carrière en sciences. Elle aspire aussi à plus d’échanges entre les scientifiques et les artistes, d’où son implication dans l’initiative Convergence.
« Nous avons tous tendance à nous limiter nous-mêmes par des pensées telles je ne suis pas bon(ne) en math, ou je ne sais pas dessiner. Cela n’a aucune importance! Allez-y ! Prenez des photos, ou lancez-vous dans une danse d’interprétation! C’est important de s’aventurer dans l’espace des autres domaines, c’est là qu’on y retrouve des points en commun. »
Vous pourrez admirer les œuvres de Bettina Forget et de Yann Pocreau dans « Merveilles Célestes » au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, 2940 chemin de la Cote-Sainte-Catherine (près du métro Université de Montréal), jusqu’au 15 décembre 2018.
Pour de plus amples informations sur les œuvres de Bettina, veuillez visiter son site web à www.bettinaforget.com
Rédaction: Nicole Avakyan
Traduction: Andrée Lessard
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